Contrefaçon de marques en ligne : blocage de l’accès aux sites auprès des fournisseurs d’accès à internet sur le fondement de la LCEN

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Dans une ordonnance de référé rendue le 8 janvier 2020, le Tribunal judiciaire a répondu à la question de savoir si l’existence de l’article L.716-6 du Code la propriété intellectuelle et du « référé interdiction » devait amener à écarter l’application du « référé internet » prévu par l’article 6.I.8 de la LCEN en présence d’une atteinte aux marques réalisée sur internet.


Des sociétés du groupe Richemont, notamment dans le domaine de la joaillerie et de l’horlogerie, ont découvert que plusieurs sites Internet à destination du public français commercialisaient des montres sur lesquelles étaient reproduites les marques dont elles étaient titulaires.
Les noms de domaine utilisés par ces sites - « contrefaçonmontre.com », « repliquemontre.fr » et « repliquemontre.cn », ainsi que les prix pratiqués confirmaient le caractère illicite des répliques vendues.
 
Afin de défendre leurs droits, les sociétés Cartier International AG, Montblanc-Simplo GmBh, Panerai AG et Richemont International SA ont tenté de notifier les contrefaçons aux hébergeurs des sites litigieux, sans résultat. Elles n’ont pas été en mesure de se retourner contre les éditeurs en l’absence de mentions légales sur les sites en cause, et à défaut d’identification sur les bases de données Whois.
 
Les titulaires de droit ont donc finalement fait assigner en référé les fournisseurs d’accès à internet (FAI) Orange, Bouygues Telecom, Free et SFR sur le fondement de l’article 6.I.8 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004, qui dispose « L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 [les fournisseurs d’accès à internet], toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».
 
Il est demandé au juge des référés d’ordonner aux FAI de bloquer l’accès, depuis la France et par les abonnés des FAI, aux sites concernés.  
 
L’un des FAI assigné soulevait l’inapplicabilité de l’article 6.I.8 de la LCEN sur le fondement de l’adage « le spécial déroge au général ». Plus particulièrement, la société Orange soutenait que seul l’article L. 716-6 du CPI (devenu l’article L. 716-4-6 depuis l’ordonnance n°2019-1169) était applicable en matière de marque, cet article disposant que « Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon (…) ».
 
Le juge des référés a considéré que ni le législateur national, ni le législateur européen n’ont cherché à écarter l’application des dispositions transposées à l’article 6.I.8 en énonçant une règle spéciale transposée à l’article L. 716-6 du CPI. Les deux règles peuvent donc être considérées comme deux règles spéciales qui prévoient des régimes distincts, « tous les deux susceptibles de s’appliquer en matière d’atteinte aux marques en fonction des circonstances de l’espèce », l’une n’excluant pas l’autre en matière de contrefaçon de marque.
 
En conséquence, puisque la LCEN est applicable, les sociétés demanderesses n’avaient pas à introduire une action au fond pour valider les mesures de blocage, contrairement à ce que requiert l’article L. 716-6 du CPI.
 
Une fois la question de l’opportunité de l’application de la LCEN résolue, le juge des référés a ensuite vérifié les conditions d’obtention d’un blocage de site internet à l’égard des FAI à savoir :
 

  • La démonstration du trouble manifestement illicite : selon le juge des référés, l’atteinte manifeste aux marques en vigueur est caractérisée, voire revendiquée. Il tient compte notamment des noms de domaine litigieux, qui évoquent le caractère contrefaisant des produits vendus par l’utilisation de mots tels que « répliques » ou « contrefaçon », et des prix bas pratiqués.
  • Le critère de la subsidiarité de la mesure demandée. Les sociétés demanderesses ont apporté la preuve de l’impossibilité d’agir efficacement et rapidement contre l’hébergeur, de même que contre l’éditeur ou l’auteur du contenu litigieux.

 
Au vu de ces éléments, le juge des référés a fait droit à la demande de blocage des sociétés du groupe Richemont et a ordonné aux sociétés Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR de mettre en œuvre et/ou faire mettre en œuvre, et ce pendant une durée de 12 mois, toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français, y compris des collectivités d’outre- mer, de la Nouvelle Calédonie et des Terres australes et antarctiques françaises, par leurs abonnés à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace de leur choix, au site internet accessibles via les noms de domaine « contrefaconmontre.com », « repliquemontre.fr » et « repliquemontre.cn ».
Les titulaires de droits doivent quant à eux informer le cas échéant les FAI, durant le temps des mesures de blocage ordonnées, si les noms de domaine litigieux venaient à ne plus être actifs ; ils s’engagent également à rembourser aux FAI le coût des mesures de blocage, sur présentation de factures.
 
Cette solution nous éclaire sur l’applicabilité de l’article 6-I-8 de LCEN à un contentieux de droit des marques.

Juliette Disser et Louise Belivier

24 février 2020

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