Action en nullité de brevet : intérêt à agir des consommateurs et d’une association de consommateurs à l’encontre du breveté

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Dans un jugement du 24 janvier 2020, le Tribunal judiciaire de Paris s’est prononcé sur la question de savoir si des patients, qui utilisent un médicament mettant en œuvre un brevet déposé par le laboratoire pharmaceutique à l’origine de la commercialisation, pouvaient engager une action en nullité à l’encontre dudit brevet.

 

Si le droit d’agir en justice est ouvert à tous, il est néanmoins encadré et impose au demandeur à l’action de justifier d’un intérêt à agir (articles 31 et 32 du code de procédure civile). Cela signifie que le demandeur doit montrer que son action a pour objectif de lui éviter une perte ou de lui faire obtenir un avantage. Sous certaines limites, la jurisprudence admet l’existence d’un intérêt à agir de groupements, telle qu’une association de défense de consommateurs pour défendre un intérêt plus général. 

Cet arrêt vient rappeler que ce principe de droit commun s’applique en matière de nullité de brevet. 

La société allemande MERCK PATENT GmbH, appartenant au groupe MERCK, laboratoire pharmaceutique, est titulaire d’un brevet européen portant sur une « Préparation pharmaceutique solide contenant de la lévothyroxine » (EP 2 885 005). Ce brevet est mis en œuvre par le médicament « LEVOTHYROX NF » (nouvelle formule), indiqué dans le traitement de l’hypothyroïdie et ayant remplacé le « LEVOTHYROX AF », précédemment commercialisé.

Cette nouvelle formule avait fait couler beaucoup d’encre, car des patients se sont plaints d’effets secondaires importants à la suite de la nouvelle formulation.

En décembre 2018, 139 patients prenant du LEVOTHYROX NF ont assigné la société MERCK en nullité de la partie française de son brevet européen, sur les fondements de l’insuffisance de description, le défaut de nouveauté et le défaut d’activité inventive. Par la suite, 34 autres patients ainsi que l’association ALERTE THYROIDE sont intervenus volontairement dans l’instance.

En présence d’une contestation quant à l’intérêt à agir des demandeurs, le juge de la mise en état, qui avait pourtant la compétence de rendre une décision sur la question, a demandé la tenue d’une audience collégiale, afin de régler ce sujet avant tout examen du fond. Ce type de démarche est suffisamment rare pour montrer l’importance de cette décision.

La société MERCK faisait valoir que l’action en nullité de brevet des 173 patients était irrecevable, faute d’intérêt à agir, dans la mesure où une telle action serait uniquement réservée aux personnes dont l’activité économique peut être entravée par le brevet dont l’annulation est demandée. Elle soutenait également que l’objectif des demandeurs, à savoir le retrait de la nouvelle formule du médicament ou la remise sur le marché de l’ancienne formule, ne pourrait être rempli par l’annulation du brevet. Il est de fait que ce type de décision relève de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui délivre les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments. 

S’agissant de l’association ALERTE THYROIDE, la société MERCK considérait que les intérêts collectifs en jeu, à savoir la fin d’un monopole liée à l’annulation du brevet, n’entraient pas dans son objet social et que son intervention était dictée par le même intérêt que celui des 173 patients, ce qui rendait son intervention volontaire irrecevable.

De leur côté, les demandeurs à la nullité du brevet soutenaient qu’une telle action est ouverte à tous, et notamment aux consommateurs, dans la mesure où elle concernerait l’intérêt général et ne serait pas conditionnée à une situation de concurrence entre les parties. Ils revendiquaient ainsi une conception souple de l’intérêt à agir, à l’instar des procédures étrangères ou devant l’Office européen des Brevets. 

Ils faisaient également valoir que le dépôt du brevet en question résulterait d’une stratégie de perpétuation du monopole de la société MERCK, ayant pour conséquence de bloquer l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs et de freiner les recherches. 

Cette stratégie vise à déposer un brevet ayant une portée proche d’un autre brevet dont l’expiration est imminente, afin de pouvoir continuer à commercialiser une formulation sans être inquiété par la concurrence ou les formulations génériques. Les demandeurs invoquaient en outre les impacts médicaux et financiers liés l’abandon de l’ancienne formule du LEVOTHYROX. 

Rappelant le principe selon lequel l’intérêt à agir doit être légitime, né, personnel et actuel, les juges du Tribunal judiciaire de Paris ont considéré qu’une action en nullité de brevet n’était pas réservée à une personne physique ou morale qui subirait un impact économique et ont souligné que les demandeurs, en tant que patients directement impactés par la disponibilité matérielle et financière du médicament, pouvaient avoir un intérêt à agir. 

Les juges du fond ont aussi souligné qu’une action en nullité de brevet impactait l’intérêt général, puisqu’elle avait pour résultat de mettre fin à un monopole et qu’elle profitait donc à tous. 

Le tribunal a enfin rappelé que le monopole conféré par un brevet, en ce qu’il donne à son titulaire des avantages sur ses concurrents, ne pouvait exister que si ledit brevet respectait les conditions de validité et que le dépôt d’un nouveau brevet ne devait pas avoir pour but le maintien du monopole résultant d’un précédant brevet arrivant à expiration. 

Ces principes étant posés, les juges ont raisonné en deux temps. Dans un premier temps, ils ont admis que l’annulation du brevet mettrait fin au monopole de la société MERCK sur les médicaments à base de lévothyroxine, dans la mesure où le brevet litigieux est suffisamment large pour couvrir à la fois l’ancienne et la nouvelle formulation et permet ainsi de faire perdurer le monopole sur l’ancienne formule du LEVOTHYROX après expiration du brevet le protégeant. Par conséquent, le brevet litigieux empêche la commercialisation de génériques et l’entrée sur le marché d’autres laboratoires qui pourraient, en l’absence de ce nouveau brevet, produire une formulation identique à celle du LEVOTHYROX (ancienne formule).

Néanmoins, les juges ont suivi le raisonnement de la société MERCK pour juger que cette action en justice ne permettrait pas aux demandeurs d’obtenir ce qu’ils souhaitent réellement : la remise sur le marché du LEVOTHYROX AF (ancienne formule). Ainsi, le tribunal a rappelé qu’une annulation du brevet n’aurait pas pour effet la remise sur le marché de l’ancienne formule du médicament, pour laquelle la société MERCK ne dispose plus d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Or, un médicament ne peut être commercialisé qu’à condition d’obtenir et de garder une AMM, délivrée par l’Agence française de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). En outre, les juges ont insisté sur le fait que l’annulation du brevet litigieux n’entraînerait pas nécessairement la perte de l’AMM sur le LEVOTHYROX NF (nouvelle formule) et donc son retrait du marché.

Compte tenu de ces éléments, le Tribunal a jugé que le lien de cause à effet entre l’annulation du brevet et la possibilité pour les patients d’obtenir la remise sur le marché, par la société MERCK ou un autre laboratoire, de l’ancienne formule du LEVOTHYROX, était hypothétique. Les juges du fond ont donc considéré que les demandeurs, au même titre que l’association, n’avait pas d’intérêt à agir dans la mesure où cette action en nullité, dont l’objectif doit être de « libérer une exploitation prochaine de la technique brevetée ou d’une technique ressemblante », aurait peu de chance d’améliorer la situation des demandeurs. 

Par le biais de cette décision sage, le Tribunal procède à un rappel des principes entourant l’intérêt à agir en matière de brevet, rappelant que l’action n’est pas réservée aux seuls concurrents du titulaire du brevet. Néanmoins, cette action ne doit pas être engagée à la légère et l’effet escompté doit être plausible et avoir des conséquences réelles sur la situation de la personne qui en est à l’origine. 

Dans le cas présent, le Tribunal aurait probablement reconnu l’intérêt à agir d’un laboratoire créant des génériques pour lequel une prolongation du monopole sur le médicament serait préjudiciable. Il est même permis de penser que l’intérêt à agir de patients aurait pu être reconnu, si l’objet de leur action avait été de débloquer le marché et d’avoir accès à une offre plus diversifiée de médicaments contre l’hypothyroïdie, sans aller sur le terrain de la remise sur le marché de l’ancienne formulation du LEVOTHYROX par la société Merck.

Emmanuel de Marcellus

Camille Boillet

20 avril 2020

 

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